Une loi et beaucoup de questions….
A L’heure où tout le monde évoque le G 8 numérique, la loi du 26 Mai 2011 relative au prix du livre numérique, publiée au JO du 28 mai 2011, nous interpelle
En effet, cette loi est le reflet, en quelques dispositions peu nombreuses, d’un grand nombre de questions relativement insolubles, auxquelles le législateur est confronté, face à ce qu’il est convenu d’appeler « l’ère du numérique ».
A la lecture du texte, on ne peut manquer d’observer que son interprétation donnera probablement lieu à une jurisprudence aussi fournie, qu’indispensable sur de nombreux points :
L’application territoriale des dispositions légales :
Le texte prévoit en son article 2 1er alinéa que : « Toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France, est tenue de fixer un prix de vente au public pour tout type d’offre à l’unité ou groupée. Ce prix est porté à la connaissance du public. »
L’article 3 prévoit que : « Le prix de vente fixé dans les conditions déterminées à l’article 2, s’impose aux personnes proposant des offres de livres numériques aux acheteurs situés en France. »
Cette disposition implique que la loi ne s’appliquera qu’aux seules personnes physiques ou morales, établies en France.
Ce qui fait que les relations tarifaires existant entre les sociétés Françaises et des sociétés de droit étranger, ne seront a priori pas soumises à ces dispositions.
On pense en particulier aux négociations entre éditeurs, et plateformes internationales.
Et c’est là que la question récurrente revient, lorsque l’on aborde la question du numérique en général.
La question bien sûr, dépasse les frontières européennes, et les enjeux sont mondiaux.
En pratique il sera bien sûr très difficile d’arriver à imposer à un interlocuteur de ce type, l’application du droit national.
Il faut rappeler qu’en cas de silence de la convention, les règles qui déterminent la loi applicable sont issues du règlement Rome 1 du 17 Juin 2008 et de l’article 17 de la loi du 21 Juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, qui transpose la directive « commerce électronique ».
L’article 17 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004 dispose :
L’activité définie à l’article 14 [dont la publicité] est soumise à la loi de l’État membre sur le territoire duquel la personne qui l’exerce est établie, sous réserve de la commune intention de cette personne et de celle à qui sont destinés les biens ou services.
L’application de l’alinéa précédent ne peut avoir pour effet :
1° De priver un consommateur ayant sa résidence habituelle sur le territoire national de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi française relatives aux obligations contractuelles, conformément aux engagements internationaux souscrits par la France. Au sens du présent article, les dispositions relatives aux obligations contractuelles comprennent les dispositions applicables aux éléments du contrat, y compris celles qui définissent les droits du consommateur, qui ont une influence déterminante sur la décision de contracter ;
2° De déroger aux règles de forme impératives prévues par la loi française pour les contrats créant ou transférant des droits sur un bien immobilier situé sur le territoire national ;
3° De déroger aux règles déterminant la loi applicable aux contrats d’assurance pour les risques situés sur le territoire d’un ou plusieurs États parties à l’accord sur l’Espace économique européen et pour les engagements qui y sont pris, prévues aux articles L. 181-1 à L. 183-2 du Code des assurances.
Et de ce fait, la loi applicable au contrat, pourra être celle dans lequel le prestataire est établi hors de France si tel est le cas.
On imagine alors les difficultés qu’une telle situation de disparité pourrait potentiellement créer en France, entre les éditeurs tenus au respect du prix du livre numérique, et ceux, qui ne respecteront pas cette loi, car elle ne leur serait pas applicable….
Il y a donc fort à parier que cette loi, comme de nombreuses autres dans le domaine plus général de l’internet, donnera du fil à retordre aux juristes et aux magistrats qui auront à statuer sur son application.
Mais que pouvait-on faire de mieux ?
L’humilité commande de répondre… que la réponse est bien difficile.
La difficulté majeure à laquelle le législateur est confronté en ce qui concerne l’économie numérique en général, est que la loi nationale, qui est par essence territoriale, n’est plus un outil adapté pour édicter des normes efficaces et que seules des normes supra nationales, inscrites dans un ensemble cohérent, pourraient constituer une réponse adéquate.
Qu’est ce qu’un livre numérique, comment est défini le champ d’application de la loi ?
L’article 1er indique « La présente loi s’applique au livre numérique lorsqu’il est une œuvre de l’esprit créée par un ou plusieurs auteurs et qu’il est à la fois commercialisé sous sa forme numérique et publié sous forme imprimée ou qu’il est , par son contenu et sa composition, susceptible d’être imprimé, à l’exception des éléments accessoires propres à l’édition numérique.
Un décret précise les caractéristiques des livres entrant dans le champ d’application de la présente loi. »
Sur ce point, il est intéressant d’observer que le livre numérique se définit encore par son lien avec la forme imprimée…. L’ère du numérique arrive, mais Gutemberg est toujours bien présent !
Comme l’indique à juste titre Madame CARRIE dans son article « Le Livre Numérique, un OCNI « Objet Culturel Non Identifié » (revue communication commerce électronique numéro 10, Octobre 2005, étude 36) :
« Le Livre Numérique comme son nom l’indique, paraît désigner avant tout un livre. Une telle évidence ne s’impose pourtant pas aux yeux du législateur qui s’obstine à le classer au rang de simples bits faisant ainsi obstacle à la reconnaissance de ce nouveau bien culturel. »
On aurait pu s’attendre à trouver dans la loi, une définition du livre numérique, qui était attendue par de nombreux commentateurs.
Or lorsque l’on prend connaissance de l’article 1 de la loi, on observe que le livre numérique n’est pas défini.
Il est vrai que la loi a confié au pouvoir règlementaire le soin de définir les caractéristiques des livres entrant dans le champ d’application de cette loi, et donc, le concept du livre numérique. Mais est ce qu’une telle définition qui traduit un concept aussi nouveau, et important pour l’économie, ne relevait pas plutôt du pouvoir législatif ?
Dès lors, et en l’absence de définition légale proprement dite, du livre numérique, dans cette loi, cette loi est elle applicable ? Un prestataire qui se la verrait opposer, pourrait –il rétorquer que ses ouvrages numériques n’entrent pas dans le champ d’application de cette loi, puisque le législateur ne les a pas définis ?
L’hypothèse serait intéressante, car alors, il reviendrait aux juges, saisis de ce genre de litige, de dire si cet objet non identifié relèverait ou non du champ d’application de la loi….
Qu’est ce qu’une rémunération juste et équitable au sens de l’article L 132-5 du CPI, nouveau ?
La loi comporte un article 6 libellé comme suit :
L’article L. 132-5 du code de la propriété intellectuelle est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le contrat d’édition garantit aux auteurs, lors de la commercialisation ou de la diffusion d’un livre numérique, que la rémunération résultant de l’exploitation de ce livre est juste et équitable. L’éditeur rend compte à l’auteur du calcul de cette rémunération de façon explicite et transparente. »
L’Article L. 132-5 ancienne version, disposait :
« Le contrat peut prévoir soit une rémunération proportionnelle aux produits d’exploitation, soit, dans les cas prévus aux articles L. 131-4 et L. 132-6, une rémunération forfaitaire. »
La notion de juste rémunération n’est bien sûr pas nouvelle, et en Allemagne, la loi sur le droit d’auteur de 2002 permet à l’auteur de réclamer une « juste rémunération »
En matière de livres numériques, l’idée d’une rémunération juste et équitable avait été émise dans le rapport ATTALI « 300 décisions pour changer la France ».
Cela dit, comment comprendre la distinction faite ici par le législateur, entre le livre numérique, nécessitant une garantie de rémunération juste et équitable, et le livre classique en version papier, qui lui, n’est pas soumis en tout cas expressément à cette garantie ?
Pourquoi une telle distinction ? Est-ce que l’apport intellectuel fourni pour la réalisation d’un livre numérique est différent de celui fourni pour la réalisation d’un livre papier ? Et en définitive, la protection de la création intellectuelle doit elle à ce point différer selon qu’il s’agisse d’un livre imprimé ou d’un livre numérique ?