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Newsletter du cabinet Cazeau & Associés – Juin, Juillet, Août 2018

La loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 : Encore une modification importante du droit français des contrats ?
La loi du 20 avril 2018 constitue l’ultime étape de la réforme du droit français des obligations : elle ratifie l’ordonnance du 10 février 2016. Cette dernière étant déjà en application depuis le 1er octobre 2016, les modifications apportées par les parlementaires, pour ne pas contrarier la sécurité et la prévisibilité juridiques, demeurent mineures : seules 6% des dispositions ont été retouchées.

Le mécanisme d’adoption en différé du projet final place la question du droit transitoire au cœur des problématiques que rencontreront les praticiens. Trois droits applicables se distinguent, et deux principes s’appliquent. Le premier principe, classique, est celui de l’application au contrat de la loi en vigueur au moment de sa conclusion. Il a été précisé par le Parlement qui, refusant au juge judiciaire une interprétation de la loi ancienne au regard du droit nouveau, prévoit que les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 sont soumis à la loi ancienne, « y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public ». Le second concerne les dispositions interprétatives (ayant pour objet de clarifier le sens d’une loi antérieure, obscure) présentes dans la loi de ratification : leur application rétroagit au 1er octobre 2016.

Ainsi:
• Les contrats conclus antérieurement au 1er octobre 2016 :
o Principe : application du droit antérieur
o Exception : les actions interrogatoires
• Les contrats conclus pendant la période du 1er octobre 2016 au 30 septembre 2018 :
o Principe : application de l’ordonnance du 1er octobre 2016
o Exception : dispositions interprétatives de la loi de ratification
• Les contrats conclus postérieurement 1er octobre 2018 :
o Principe : application de l’ordonnance dans sa version modifiée par la loi de ratification

I. Les modifications de la loi de ratification sur la conclusion du contrat, les vices du consentement, les contrats d’adhésion et la fixation du prix
Tout d’abord, la définition ainsi que le régime juridique du contrat d’adhésion seront modifiés (articles 1110 et 1171 du Code civil). Ce dernier est désormais « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ». Les « conditions générales » ont ainsi été remplacées par « un ensemble de clauses » et un critère d’absence de négociabilité a été ajouté. Les contrats d’adhésion ne sont donc plus cantonnés aux contrats de masses.
Symétriquement, le régime juridique des clauses abusives dans les contrats d’adhésion s’en trouve modifié : la nouvelle rédaction de l’article 1171 du Code civil prévoit que seules les clauses non négociables déterminées à l’avance par l’une des parties (et non plus « toute clause ») créant « un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties » pourront faire l’objet d’un contrôle par le juge judiciaire. Le contrôle des clauses abusives est ainsi restreint.
Ensuite, le nouvel article 1112 prévoit qu’en cas de faute commise dans les négociations, sont exclues de la réparation du préjudice qui en résulte non seulement « la perte des avantages attendus du contrat non conclus » mais aussi « la perte de chance d’obtenir ces avantages ». Cet ajout permet assurément une meilleure prévisibilité de la réparation du préjudice subi lors des négociations. Cette disposition est interprétative et s’applique donc à partir du 1er Octobre 2016.
L’article 1117 alinéa 2, qui traite de la caducité de l’offre en cas d’incapacité de son auteur, est complété par les mots : « ou de décès de son destinataire »
L’article 1137 (sur le dol) se voit ajouter un alinéa ainsi rédigé : « Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. » La loi de ratification met ainsi fin à une grande incohérence avec l’article 1112-1 (sur l’obligation d’information) qui dispose en son alinéa 2 : « Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation. » L’obligation de s’informer, au moins sur la valeur de la prestation, est donc consacrée puisque celui qui n’est pas obligé d’informer l’autre partie sur l’estimation de la valeur de la prestation ne pourra plus voir sa responsabilité engagée sur le fondement de l’article 1137 du code civil.
L’article 1143, qui traite de la violence économique, connait également un ajout : « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. » Ainsi seul l’état de dépendance du contractant envers son cocontractant sera désormais pris en compte. Cette disposition est interprétative et s’applique donc à partir du 1er Octobre 2016.
L’article 1145 alinéa 2 disposera désormais que : « La capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d’entre elles. » L’article 1161 est également modifié, et disposera que : « En matière de représentation des personnes physiques, un représentant ne peut agir pour le compte de plusieurs parties au contrat en opposition d’intérêts ni contracter pour son propre compte avec le représenté. »
Sur la fixation du prix, la nouvelle rédaction de l’article 1165, sur les contrats de prestation de service, sera :
« Dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation.
En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat. »
Cette disposition est interprétative et s’applique donc à partir du 1er Octobre 2016.
II. Les modifications de la loi de ratification sur l’exécution et la sortie du contrat
Une fois que le contrat a été valablement formé et qu’il a passé les différents contrôles auxquels il peut être soumis, le créancier semble, à travers le nouveau droit des contrats, jouir d’une protection sans équivalent dans les autres systèmes juridiques.
Ainsi l’article 1217, qui énumère les remèdes à l’inexécution du contrat dont dispose le créancier, remplace le mot « solliciter » par le mot « obtenir » :
« La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

• Obtenir une réduction du prix ;
… »
Alors que le verbe « solliciter » suggérait un recours obligatoire au juge pour obtenir la réduction du prix en cas de mauvaise exécution par le débiteur, le terme « obtenir » instaure clairement une sanction qui s’exerce sans intervention du juge. La privatisation des sanctions rayonne. Cette disposition est interprétative et s’applique donc à partir du 1er Octobre 2016.
La loi de ratification a ensuite modifié l’article 1221 qui est relatif à l’exécution forcée. Si, en cas d’inexécution du débiteur, l’exécution forcée en nature constitue désormais le principe, deux exceptions sont prévues : l’impossibilité de l’exécution forcée et une disproportion manifeste entre le coût pour le débiteur et l’intérêt pour le créancier. Or, la loi de 2018 précise désormais que seul le débiteur de bonne foi peut se prévaloir de cette seconde exception. Par conséquent, le débiteur de mauvaise foi, lui, pourra s’exposer à une exécution forcée irrationnelle. En ce sens, la loi de ratification augmente, plus encore, la protection du créancier. Cette disposition est interprétative et s’applique donc à partir du 1er Octobre 2016.
Par ailleurs, l’article 1223 sur la réduction proportionnelle du prix a été entièrement réécrit :
« En cas d’exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut, après mise en demeure et s’il n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision d’en réduire de manière proportionnelle le prix. L’acceptation par le débiteur de la décision de réduction de prix du créancier doit être rédigée par écrit.
Si le créancier a déjà payé, à défaut d’accord entre les parties, il peut demander au juge la réduction de prix. »
La raison de cette réécriture est que la version de l’ordonnance de 2016 laissait planer deux doutes : Le créancier était-il fondé à décider seul de la réduction, ou avait-il besoin du consentement du débiteur ou de l’appui du juge ? Et y-avait-il une place pour une réduction judiciaire du prix ? La loi de ratification a plus ou moins bien levé ces incertitudes. Tout d’abord, l’alinéa 1er du nouvel article 1223 comporte les mots : « sa décision », ce qui impliquerait que le créancier décide seul de la réduction. Cependant la seconde phrase du même alinéa dispose : « L’acceptation par le débiteur de la décision de réduction de prix du créancier doit être rédigée par écrit. » Le doute sur la possibilité d’une réduction conventionnelle semble alors réapparaitre. Toutefois, l’analyse des travaux préparatoires démontre bien que le législateur a souhaité mettre en place un droit à réduction unilatérale, la seconde phrase de l’alinéa 1er signifiant que si le débiteur accepte la réduction du prix, il ne pourra plus la conteste en justice.
Le second alinéa du nouvel article 1223 permet, quant à lui, une intervention judiciaire si le créancier a déjà payé et que les parties ne peuvent s’accorder.