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Avril- Mai 2021
SOMMAIRE
- Article: “Your boss is watching you” ou les limites à la modernisation de la surveillance des travailleurs hors du cadre de l’entreprise.
- Brèves: 1.Une analyse éthique de la rupture des relations commerciales établies. 2. Les webinaires du mois !
ARTICLE
“Your boss is watching you” ou les limites à la modernisation de la surveillance des travailleurs hors du cadre de l’entreprise
Du 22 mars au 2 avril 2021, s’est tenu le procès contre la filiale française d’Ikea. 15 personnes, dont deux anciens PDG étaient poursuivis devant le Tribunal correctionnel de Versailles pour avoir collecté et conservé illégalement des centaines de données sur leurs salariés. 74 parties civiles (syndicats et particuliers) sont constituées à ce jour. Les prévenus encourent jusqu’à 10 ans de prison, et l’entreprise 3 750 000 euros d’amende.
Plus précisément, les chefs de prévention retenus contre les prévenus reposent sur la collecte de données personnelles par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite ; le détournement de finalité ; de divulgation illégale volontaire de données personnelles nuisibles ; de violation du secret professionnel.
L’affaire éclate en 2012 dans la presse et est suivie d’une plainte contre X adressée au parquet de Versailles, au nom de l’Union départementale des syndicats FO de Seine-Saint-Denis. Après plus de huit années d’enquête, il a été révélé que IKEA France avait recours à des sociétés de sécurité privées en leur achetant des renseignements, notamment issus des fichiers de police et de gendarmerie concernant les salariés d’IKEA France mais aussi les candidats aux offres d’emploi.
En attendant le délibéré du 27 mai 2021, cette affaire a eu le mérite de mettre en lumière la problématique de la surveillance au travail, ses limites et ses enjeux d’autant plus essentiels à l’heure du télétravail.
Loin de ces méthodes qui relèvent d’un véritable film d’espionnage, le progrès de la technologie a permis d’améliorer considérablement les outils de surveillance des salariés notamment en y intégrant des algorithmes pour traiter les données collectées. Le problème qui se pose alors n’est pas tant la faculté de surveillance elle-même qui est admise légalement car relevant du pouvoir de direction de l’employeur, mais l’étendue de ce contrôle dont la frontière doit en principe rester limitée à la sphère du travail. Cependant, avec l’explosion du télétravail, la surveillance risque de déborder sur la sphère privée. En outre, la variété de plus en plus importantes de types de données collectées pourrait tenter l’employeur d’en faire un usage dépassant la simple surveillance de l’exécution du travail.
L’intensification du recours aux nouvelles technologies dans la surveillance est telle qu’en 5 ans, la CNIL, a enregistré une hausse de 79 % des plaintes concernant la surveillance des travailleurs par les départements RH. Consciente de la réalité de ces risques accrus par le télétravail, la CNIL, considérée comme « le gendarme des données » en France, a alors élaboré un document de travail « questions/réponses » centré sur l’analyse de deux dimensions du contrôle algorithmique du télétravailleur : celle de la collecte des données et celle de l’usage de ces données. A travers ce document elle contribue à apporter plus de sécurité pour les employeurs en préconisant certaines méthodes de surveillance et pose les critères de mise en œuvre du contrôle des salariés.
L’objectif de la CNIL est de proposer aux entreprises les moyens de maintenir l’équilibre entre la surveillance du travailleur et le respect des droits et libertés fondamentales et plus particulièrement le respect du droit à la vie privée mais aussi du droit à la protection des données personnelles issu de l’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Ainsi par exemple, elle invite les entreprises à toujours agir en conformité avec les principes de loyauté, transparence et de proportionnalité impliquant que l’employeur doive informer ses salariés de l’existence du système de contrôle, de sa nature, de son mode de fonctionnement et enfin de la finalité de la collecte des données. Dès lors, elle considère illégaux, les outils permettant une surveillance « permanente », à l’instar du keylogger qui enregistre toutes les frappes effectuées sur un clavier, et incite les employeurs à ne pas forcer leurs salariés à allumer la caméra lors de réunion.
La réalité des dérives de la surveillance révélée dans l’affaire IKEA ajouté au télétravail généralisé doit conduire les entreprises à mesurer et vérifier en interne, les risques auxquels elles pourraient être exposées si elles ne respectent pas suffisamment bien les moyens de protection de la vie privée et des données personnelles imposés par les institutions européennes et françaises.
BRÈVES
1. Une analyse éthique de la rupture des relations commerciales établies
Cour d’appel de Paris, 24 mars 2021 – RG n° 19/15565
Le 24 mars 2021, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt dans un litige portant sur la rupture brutale des relations établies qui opposait la société Promod à l’un de ses fournisseurs.
Cet arrêt propose une analyse intéressante de la rupture brutale des relations commerciales en interprétant les dispositions de l’article L. 442-1 du Code du Commerce sous le prisme des clauses d’éthique.
Les faits sont particulièrement intéressants, la société Promod formalise ses relations commerciales avec ses fournisseurs par des conventions annuelles comprenant en annexe le code éthique de la société. En l’occurrence, le code éthique prévoyait la validation en amont par la société Promod des sous-traitants de ses fournisseurs notamment au regard des conditions de travail sur les sites de production et réalisait des audits de contrôle sur ces sites.
L’un de ces audits a révélé que le site de production, ayant fabriqué des marchandises que la société Promod venait de commander à son fournisseur, ne respectait pas les dispositions des règles du code éthique, de l’Organisation internationale du travail et des législations applicables. En conséquence, la société Promod décida, entre autres, de ne pas réceptionner la marchandise et notifia à son fournisseur la rupture de leurs relations commerciales. Ce dernier l’assigna alors en justice pour rupture brutale des relations commerciales établies.
La Cour d’appel de Paris, confirmant le jugement de première instance, a considéré que la violation par le sous-traitant du fournisseur du code éthique du client rendait la rupture prévisible écartant ainsi la responsabilité de la société Promod :
« De ce fait, la société Promod a légitimement perdu confiance dans ce fournisseur, par suite de l’incapacité de celui-ci à intégrer et à assumer les nouvelles normes rendues obligatoires en vertu du code éthique, à juste titre jugées essentielles par la société Promod, et il doit être retenu que la rupture brutale des relations commerciales était prévisible pour la société Paris Première qui, par ses manquements particulièrement graves au regard du contrat cadre liant les parties, a causé cette rupture qui est exempte de faute de la société Promod »
Cet arrêt s’inscrit dans la continuité du mouvement actuel tendant à responsabiliser de plus en plus les sociétés face aux enjeux de responsabilité sociétale. Cette aspiration à transformer les sociétés en véritables acteur de bonnes pratiques RSE se traduit encore dans la directive adoptée le 10 mars 2021 par le Parlement européen relative au « Devoir de vigilance et responsabilité des entreprises ». En somme, les sociétés sont appelées à redéfinir leurs relations commerciales en tenant compte des enjeux sociétaux.
2. Les Webinaires du mois !
Ce mois-ci, le cabinet Cazeau et associés est intervenu dans trois webinaires portant sur les nouveaux enjeux en matière de droit des affaires :
– Lors du webinaire organisé par Business France (Invest in France) le 14 avril 2021, Nathalie Cazeau est intervenue sur les aspects du droit du travail et du droit des sociétés que toute entreprise doit savoir pour s’implanter en France.
– Le même jour, Cazeau a également participé au webinaire organisé par l’UIA sur les « Tests, traçage et traitement de la Covid-19 : quel sera le visage du retour à la “normale” ? » et a évoqué la question de l’assurance des risques de Cyber attaques :
– Le 26 avril 2021 à 18H, Nathalie CAZEAU aura le plaisir de co-présider le prochain évènement de la Commission Franco Espagnole du barreau de Paris avec Nuria Bové Espinalt sur le thème de la compliance, la bonne gouvernance et l’éthique dans les sociétés en France et en Espagne.
Soyez nombreux à participer :
Si vous êtes avocat de Paris, pour participer, inscrivez-vous ici : https://lnkd.in/evac_yi
Sinon, vous pouvez vous inscrire ici : international@avocparis.org