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Newsletter du cabinet Cazeau & Associés – Mars – Avril 2021

Newsletter
Mars – Avril 2021

 

SOMMAIRE

  • Article : La mesure « in futurum » : un moyen de conserver des preuves en dérogeant au principe du contradictoire.
  • En Bref : Actualité en droit social en France et à l’étranger

 

ARTICLE

La mesure « in futurum » : un moyen de conserver des preuves en dérogeant au principe du contradictoire

En amont d’un procès, une partie peut être confrontée à la difficulté de rapporter la preuve d’un fait qui lui est préjudiciable. Ce peut être le cas en matière de concurrence déloyale par exemple, la victime potentielle ne pouvant de fait accéder aux documents détenus par le concurrent fautif (factures, contrats, message de sollicitation de clientèle…).

Dans de tels cas, il peut y avoir un intérêt à solliciter auprès du juge l’application de mesures dites « in futurum » afin d’atteindre certaines preuves hors de portée de la partie qui veut s’en prévaloir. Cela permet, par exemple, d’empêcher leur dépérissement. Ces mesures peuvent être ordonnées par le juge sans que la partie qui les subit n’ait été préalablement entendue ou appelée à un débat contradictoire.

Concrètement, la mesure in futurum peut consister à autoriser un huissier de justice à accéder à des documents sous quelque forme que ce soit et à les mettre sous séquestre dans l’attente d’une éventuelle contestation.

La mesure présente donc un intérêt important mais, pour être obtenue, elle doit répondre à des conditions très strictes. En effet, il ne peut être dérogé au principe du contradictoire, principe essentiel de la procédure civile française, que de façon très exceptionnelle. Le juge peut ainsi rendre une décision provisoire non contradictoire dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse, le requérant devant matérialiser, outre l’absence de tout procès déjà engagé au fond (le litige doit être potentiel : il ne doit pas être en cours), la nécessité de déroger au principe du contradictoire et un intérêt légitime.

La jurisprudence admet que constitue une justification à l’absence de contradiction la nécessité de préserver un effet de surprise ; toutefois, le seul risque de modification ou de disparition des éléments recherchés ne suffit pas : il faut expliquer de manière concrète pourquoi il est impossible de procéder autrement que par surprise. Par exemple, si la nature des faits concerne des actes de concurrence déloyale, l’état des rapports conflictuels qui opposent les parties peut justifier, selon la jurisprudence, le risque de dépérissement des preuves et la nécessité d’un effet de surprise et donc permettre l’application de mesures in futurum. Concrètement, il conviendra d’établir que des sollicitations préalables ont été faites et que la partie qui devra subir la mesure résiste de manière abusive. Ainsi, le risque de dépérissement et la nécessité d’un effet de surprise sont deux conditions cumulatives.

L’intérêt légitime est aussi défini par la jurisprudence : le juge le déduit de l’absence d’autres voies pour conserver des preuves en opérant un véritable contrôle de proportionnalité ; il concilie les droits et libertés en conflit et prend la mesure strictement nécessaire à la défense des intérêts en jeu. Le juge doit donc s’appuyer sur des éléments de faits afin de savoir si la mesure est suffisamment circonscrite. En pratique, le juge s’assure que les éléments de preuves visés par la demande ne sont pas susceptibles de renvoyer à un trop grand nombre d’éléments sans rapport avec le litige, ce qui aurait pour conséquence de léser l’autre partie. Il s’assure en quelque sorte que la mesure sera bien proportionnée, toujours dans le souci de limiter au maximum la portée de la dérogation au principe du contradictoire.

De même, le juge peut vérifier s’il existe un empêchement légitime dont le non-respect emporte une atteinte disproportionnée au principe du contradictoire, mais aussi au principe du secret des affaires et des correspondances ou de la loyauté de la preuve. Dans le cas où le juge accorde la mesure, tout n’est pas perdu pour la partie qui la subit puisqu’elle peut toujours la contester via une procédure de référé-rétractation. Elle devra alors prouver que les conditions exposées ci-dessus n’étaient pas réunies.

L’ordonnance dite 145 en vue d’obtenir une mesure « in futurum » est donc une arme majeure pour le justiciable. Toutefois, sa mise en œuvre suppose de maitriser la technicité de ce régime qui suppose la réunion de conditions très strictes. La préparation de la requête requiert par conséquent la plus grande attention pour s’assurer de l’efficacité de la mesure.

 

En Bref

Actualité en droit social en France et à l’étranger

France :

  • La Cour de cassation vient de préciser un élément fondamental du droit du travail : le contenu de l’indemnité de licenciement (27 janv. 2021, n° 18-23.535) :

L’indemnité légale de licenciement est la contrepartie du droit de l’employeur de résilier unilatéralement le contrat, tandis que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte d’emploi. Un salarié ayant déjà perçu ces deux indemnités ne peut demander l’indemnisation de préjudices déjà réparés par ces dernières – préjudices nés de la perte d’emploi et perte de chance d’un retour à l’emploi optimisé en raison d’un PSE insuffisant – dans le cadre d’une action en responsabilité extracontractuelle.

Cette jurisprudence constituera sans aucun doute un moyen de défense supplémentaire pour les employeurs, le salarié devant alors établir l’existence d’un préjudice distinct pour obtenir d’autres réparations.

  • L’instruction n° DGT/RT1/2021 du 19 janvier 2021 de la Direction générale du travail relative au détachement de salariés en France est applicable en France depuis le 30/07/2020 et permet de renforcer la protection des travailleurs détachés au sein de l’Union Européenne.

A titre d’exemple, le principe d’égalité de traitement doit désormais être garanti : un salarié détaché en France par une entreprise établie à l’étranger bénéficie de la même rémunération qu’un salarié employé par une entreprise établie en France réalisant les mêmes tâches. Concrètement, les salariés détachés pourront bénéficier d’avantages tels qu’une prime d’ancienneté ou un treizième mois.

Espagne : Licenciements collectifs en Espagne (STSJ de Cataluña, Sala de lo Social, de 11 de diciembre de 2020, rec. núm. 50/2020) :

Le Tribunal suprême Catalan a admis le licenciement collectif de salariés par une entreprise sous-traitante spécialisée dans le télémarketing dont le contrat passé avec l’entreprise AIRBNB avait été résolu à cause de la pandémie du Covid-19.

A titre de comparaison, en France, un tel cas de figure ne semble pas exclu. En effet, au regard des conditions posées à l’article L1233-3 du Code du travail qui subordonne le licenciement collectif pour motif économique notamment à « une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires », le licenciement collectif pourrait éventuellement être motivé par la rupture anticipée d’un contrat générant une source d’activité importante pour l’entreprise.

Royaume Uni : Un changement important pour les travailleurs Uber (Uber BV and others (Appellants) v Aslam and others (Respondents) UKSC 2019/0029) :

La Cour d’appel avait confirmé la décision du Tribunal central de l’emploi de Londres selon laquelle le modèle économique d’Uber n’empêche pas de qualifier ses chauffeurs d’employés. La Cour a considéré que les chauffeurs travaillaient lorsqu’ils avaient leur application activée et étaient prêts à accepter des courses. En tant qu’employés, ils bénéficient des droits normalement inapplicables aux entrepreneurs indépendants, notamment les congés payés et le salaire minimum. Les juges de la Cour d’appel n’ont pas été unanimes dans leur décision.

La Cour suprême a décidé, à l’unanimité, que les chauffeurs de l’entreprise doivent bénéficier des règles du droit du travail. Cette décision pourrait permettre à des milliers de chauffeurs Uber au Royaume-Uni de bénéficier du salaire minimum et des congés payés.

Cette décision britannique s’inscrit dans la lignée d’autres jurisprudences européennes comme celle de la Cour de cassation qui le 4 mars 2020 (n°19-13.316) a également requalifié le statut d’un chauffeur Uber indépendant en salariat en retenant l’existence d’un lien de subordination.