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Newsletter du cabinet Cazeau & Associés – Janvier 2019

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Janvier 2019

 

SOMMAIRE

  • ActualitéCoup de frein à l’Uberisation: les chauffeurs-livreurs seraient bel-et-bien des salariés !
  • TribuneLes Gilets Jaunes sont-ils une force majeure ?
  • Articles de presse sélectionnés

 

ACTUALITE

Coup de frein à l’Uberisation: les chauffeurs-livreurs seraient bel-et-bien des salariés !

Le 28 novembre 2018, la Cour de cassation a rendu un arrêt qui a fait grand bruit dans le monde des plateformes numériques de services. Cet arrêt compromet en grande partie tout un système économique fondé sur le processus dit d’ « ubérisation » du marché du travail.

Contexte de l’arrêt

L’Ubérisation donne son nom au phénomène récent de flexibilisation du travail encouragé par l’ère du numérique et ses nouvelles plateformes d’intermédiation et de services de transport et livraison.

Aussi, la Cour de cassation vient de donner un puissant coup de frein à ce mouvement en décidant que, sous certaines conditions, la relation entre la plateforme et ses livreurs a priori indépendants reposait en fait sur un contrat de travail.

Dans les faits, le Conseil des prud’hommes de Paris s’était déclaré incompétent pour trancher un litige entre un livreur et la plateforme pour laquelle il travaillait. Le livreur demandait la requalification de son partenariat en contrat de travail. Le Conseil s’était alors déclaré incompétent en considérant que la relation entre les parties était purement commerciale et ne pouvait être régie par les règles protectrices du droit du travail.

La Cour d’appel saisie d’un contredit a confirmé la décision de première instance et le livreur s’est alors pourvu en cassation.

Contenu de la décision

La Cour de cassation estime donc que le livreur doit être considéré comme un salarié.

Elle déduit cette affirmation du fait qu’elle relève l’existence d’un lien de subordination. Ce dernier est révélé par le contrôle et les sanctions opérées par la plateforme sur ses livreurs. En effet, elle disposait d’un système de suivi GPS ainsi que d’un système de bonus-malus selon le temps de livraison.

La Cour de cassation prend ainsi le contrepied de la Cour d’appel. Cette dernière avait quant à elle retenu le critère de liberté du livreur qui choisissait notamment les moments où il travaillait et pouvait accepter ou refuser librement les courses.

Ainsi, pour les juges suprêmes, peu importe le degré de liberté du livreur, dès lors qu’un lien de subordination est révélé, il s’agit d’un contrat de travail.

Pourtant, jusqu’ici la jurisprudence avait pour habitude de qualifier le lien de subordination par le biais d’un faisceau d’indices, comme l’avait d’ailleurs fait la Cour d’appel. Ici, la Cour de cassation semble se contenter du simple pouvoir de contrôle et de sanction. Cela amène donc à se demander si une relation dépourvue de contrôle et de sanction peut tout de même être qualifiée de contrat de travail.

Conséquences pour le livreur devenu salarié

Cette décision profite bien évidemment au livreur puisque celui-ci va bénéficier du régime protecteur du droit du travail pour l’entièreté de sa relation avec la plateforme, donc dès son « embauche ».

Par rapport à son « nouvel » employeur, le salarié va devoir vérifier si une convention collective lui est applicable. Si c’est le cas, il pourra demander une indemnité pour la non-application de la convention. Il devra également déterminer au regard de cette convention à quelle classification son poste correspond et en déduire tous les avantages conventionnels, ou légaux le cas échéant, auxquels il a droit.

Il conviendra de vérifier par exemple que la rémunération qu’il a perçue est conforme aux dispositions applicables sur le salaire minimum. Il pourra également demander la rétribution de ses congés payés ou encore, le cas échéant, une indemnité pour non-respect des dispositions sur le travail le dimanche.

Puisqu’il est très probable que le livreur ne travaille plus pour la plateforme, il pourra soulever à son profit la rupture du contrat de travail et se prévaloir d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Enfin, le livreur, en sa qualité d’indépendant, a réglé des cotisations sociales selon le montant de son chiffre d’affaires. Il devrait donc être en mesure d’en demander le remboursement à l’URSSAF.

Conséquences pour la plateforme

Les conséquences sont colossales pour la plateforme condamnée, ce qui devraient à n’en pas douter affecter ses homologues. Outre les conséquences qui s’appliqueront individuellement à l’heureux nouveau salarié (rappel de salaires et autres indemnités évoquées), la décision expose le tout nouvel employeur à de nombreux risques.

D’abord, il est exposé à des sanctions administratives. Par exemple, puisqu’il n’a pas effectué la déclaration préalable d’embauche à l’URSSAF, une sanction financière pourra lui être appliquée. Si les conditions sont réunies, les sanctions consécutives à une infraction de travail dissimulé pourraient également lui être appliquées.

Ensuite, l’URSSAF ne manquera certainement pas de réclamer les cotisations patronales, depuis le début du contrat. Cette conséquence peut être particulièrement lourde pour la plateforme puisque celle-ci dispose à n’en pas douter de nombreux livreurs également éligibles à la requalification. Les conséquences exposées jusqu’ici seront donc également valables pour l’ensemble de ces livreurs.

Enfin, conséquence de cette dernière affirmation, la plateforme sera contrainte d’opérer un large chantier de mise en conformité. D’une part, elle devra nécessairement régler les rappels de salaires et les avantages légaux et conventionnels à ses salariés et ce, depuis l’embauche de chacun.

D’autre part, elle devra faire un choix entre, se conformer pleinement à l’arrêt de la Cour de cassation (et de la Cour d’appel de renvoi), en formalisant pour chacun de ses livreurs un contrat de travail, ou modifier son organisation pour supprimer le fameux lien de subordination. Dans ce dernier cas, la plateforme devra donc arrêter de contrôler et de sanctionner ses livreurs, sans être pour autant garantie contre d’autres requalifications.

Il reste que les livreurs actuellement salariés devront être maintenus dans ce régime. En effet, pour rappel, la rupture du contrat à l’initiative de l’employeur doit être motivée par une cause réelle et sérieuse. A défaut, elle constitue un licenciement irrégulier.

Est-ce la fin du phénomène d’ubérisation ?

La Cour d’appel de Paris a tout récemment suivi l’exemple des juges suprêmes puisqu’elle vient de requalifier le contrat d’un chauffeur Uber en contrat de travail dans un arrêt du 10 janvier 2019 (voir notre revue de presse).

Pour autant, les plateformes en question ne sont pas prêtes de laisser s’écrouler le système économique qu’elles ont mis en place.

L’arrêt commenté, s’il est un garde-fou à une précarisation trop importante, ne ferme pas complètement la porte à ce système économique.

D’abord, force est de constater que la Cour d’appel de Paris s’était déjà essayée à un tel exercice à l’occasion d’un arrêt de décembre 2017 portant sur un chauffeur de la plateforme « Le Cab ». Or, les plateformes en question n’ont pas l’air d’avoir été ébranlées par un tel arrêt.

Il faut également préciser qu’il s’agit d’un premier arrêt de cassation retentissant certes mais pionnier. Reste que la Cour d’appel de renvoi devra s’y conformer et la plateforme en question devra bel-et-bien faire face aux conséquences exposées. Il n’est pas exclu toutefois que la jurisprudence revienne sur sa décision ou face une interprétation différente des procédures mises en place pour d’autres plateformes concurrentes ou analogues.

Ensuite, comme évoqués, les plateformes peuvent aussi faire évoluer la relation qu’elles ont avec leurs livreurs vers encore plus d’autonomie pour éviter de telles requalifications. Concrètement, elles devront supprimer tout contrôle et tout pouvoir de sanction. Toutefois, comme évoqué plus haut, l’absence de ces éléments ne garantit pas aux plateformes d’éviter avec certitude la qualification de contrat de travail si les juges continuent d’opérer par faisceau d’indices.

Enfin, il n’est pas non plus exclu que la législation évolue, notamment sous l’influence de la jurisprudence européenne et des exemples étrangers, pour intégrer à terme un régime à mi-chemin entre le salarié et l’indépendant. Des pays comme l’Espagne ou le Royaume-Uni ont d’ailleurs déjà choisi cette voie.

TRIBUNE

Les Gilets jaunes sont-ils une force majeure ?

Le mouvement dit des « Gilets Jaunes » dont l’influence s’étend par-delà nos frontières, révèle une étonnante régularité. En effet, chaque samedi depuis le 17 novembre 2018, les manifestants se rassemblent pour faire entendre leur colère. Les JT abondent d’ailleurs d’images de livreurs et entrepreneurs bloqués par les manifestants et qui sont ainsi contraints de ne pas honorer leurs engagements contractuels.

L’idée de cette tribune n’est pas de discuter de la légitimité des causes du mouvement ou de ses revendications. Le but ici est plutôt de mettre en lumière un effet juridique tout à fait inattendu de la régularité des manifestations. Cet effet, qui porte sur la force majeure, affecte la plupart des contrats de services.

Ainsi, en droit français, la force majeure est définie comme un « événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur » (article 1218 du Code civil).

En cas d’inexécution donc, le débiteur peut être exonéré de sa responsabilité si son manquement est causé par un évènement irrésistible et imprévu au moment de la signature du contrat.

Se profile alors la problématique de la qualification de force majeure pour les blocages opérés par les Gilets Jaunes. Effectivement, si le contrat a été conclu après le 17 novembre 2018, et dès lors que les blocages ont lieu chaque samedi, comment peut-on prétendre qu’il s’agit d’un cas de force majeure, évènement par essence imprévisible ?

Il n’est pas possible de déterminer ce que les juges pourraient décider fasse à cette question de droit et aux particularités de chaque espèce. Il nous semble toutefois qu’il est absolument indispensable de résoudre cette insécurité juridique par une rédaction appropriée des contrats dont la signature est prévue alors que le mouvement est toujours en cours.

En effet, il est courant d’intégrer dans les contrats ou les conditions générales une clause de force majeure qui vise à donner des exemples de ce que les parties considéreront comme un tel évènement. Or, sous l’influence des contrats anglosaxons, quasi systématiquement, les entreprises intègrent l’exemple de la grève ou manifestation.

Dans ce contexte, les débiteurs auront donc tout intérêt à y intégrer les blocages de « Gilets Jaunes ». A défaut, en cas d’inexécution due à un blocage, il y a de forte chance pour qu’ils soient privés de la possibilité de se prévaloir de la force majeure.

 

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