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Janvier 2020
L’ensemble des membres du cabinet vous souhaitent une excellente année 2020 !
SOMMAIRE
- Article: La (plus) difficile circulation des décisions judiciaires anglaises après le Brexit
- Brève: La procédure civile française réformée !
ARTICLE
La (plus) difficile circulation des décisions judiciaires anglaises après le Brexit
Le Brexit fait la une des journaux depuis plus de deux ans et son échéance a été maintes fois repoussée au vu des nombreuses problématiques, notamment juridiques, engendrées par ce départ.
Parmi ces nombreuses problématiques et interrogations, apparaît celle des conséquences du retrait du Royaume-Uni de la coopération judiciaire européenne. Ce dernier pan du droit européen recouvre de nombreuses dispositions de droit international privé permettant de régler les conflits de lois et les conflits de juridictions. Or, outre les règles de conflit, les dispositions européennes permettent également de faciliter la circulation des décisions de justice, c’est-à-dire leur reconnaissance et leur exécution dans les divers pays.
Ce point est réglé par plusieurs règlements qui sont obligatoires et d’application directe dans les Etats membres. C’est ainsi le cas du règlement 1215/2012 dit Bruxelles Ibis en matière civile et commerciale qui prévoit un mécanisme simplifié de reconnaissance et d’exécution ou encore du règlement 2201/2003 dit Bruxelles IIbis en matière familiale.
Cet article entend donc modestement envisager ce qu’il adviendra des décisions judiciaires britanniques prononcées postérieurement au retrait de l’UE du Royaume-Uni en cas d’absence de nouvelles dispositions de droit international privé (scénario du Hard Brexit).
I. Les dispositions européennes (la situation actuelle du Royaume-Uni)
Actuellement, les jugements et autres décisions judiciaires rendus par les juridictions britanniques bénéficient en ce qui concerne leur reconnaissance et exécution dans les autres Etats membres des mêmes souplesses que celles émises par d’autres juges européens.
Ainsi, en matière civile et commerciale, la circulation des décisions est réglée par les articles 36 et suivants du Règlement Bruxelles Ibis.
Grace à un mécanisme simplifié, les décisions anglaises sont donc aujourd’hui automatiquement reconnues dans les autres Etats-membres grâce à un simple certificat rédigé par le juge ayant pris la décision. Le justiciable peut donc librement faire valoir le contenu de son jugement devant les autorités des autres pays européens comme un divorce par exemple.
S’agissant de l’exécution des jugements, le règlement prévoit que les décisions exécutoires dans leur pays d’origine le sont dans les autres Etats membres. Il n’est donc plus besoin de saisir une juridiction dans le pays de destination pour pouvoir faire exécuter la décision dans ce dernier pays. Une entreprise britannique peut ainsi faire exécuter en France une condamnation prononcée au Royaume-Uni dans les mêmes conditions qu’un jugement français.
D’autres règlements établissent des règles tendant à faciliter la circulation des décisions au sein de l’Union Européenne comme Bruxelles IIbis en matière familiale, ou le règlement 4/2009 sur les obligations alimentaires. Il existe également la possibilité pour les juges d’émettre sous certaines conditions des titres exécutoires européens pour les créances incontestées.
Concrètement, ces mécanismes simplifient grandement le règlement des contentieux internationaux en dispensant les parties, ou en allégeant, des formalités et procédures qui s’appliquaient antérieurement telles que l’exequatur.
Il existe bien évidemment en contrepartie des garde-fous qui permettent de s’opposer à la reconnaissance ou à l’exécution des décisions qui comporteraient des irrégularités (incompétence de la juridiction, violation de l’ordre public international, etc.).
II. La situation post Brexit
Il serait faux d’affirmer qu’à la suite du Brexit, les relations avec le Royaume-Uni seront entièrement soumises aux règles nationales de droit international privé et donc à l’extrême variété de ces dernières et à l’insécurité juridique que cela engendre.
La nuance provient du fait que certains de ces instruments existent en dehors du cadre de l’Union européenne et, par exemple, par le biais d‘institutions comme la Convention de la Haye (qui est très prolixe en matière de droit international privé) ou l’ONU (i.e. la Convention sur la Vente Internationale de Marchandises).
En revanche, force est de constater que les britanniques seront inévitablement privés des bénéfices de la coopération judiciaire européenne et particulièrement des mécanismes évoqués plus haut qui eux ne sont pas couverts par d’autres instruments (à savoir les dispenses d’exequatur).
Dès lors, à défaut de règles de substitution, la reconnaissance et l’exécution des décisions relèvera des droits nationaux.
III. En France, la nécessité de recourir à une procédure d’exequatur
Ce qui vient d’être exposé a pour conséquence que les Etats membres traiteront les décisions anglaises comme des jugements provenant d’un Etat tiers et appliqueront leurs propres règles nationales de reconnaissance et d’exécution des décisions étrangères.
Pour la France, cela marquera sans aucun doute le retour de la procédure d’exequatur par laquelle le justiciable demande au juge français de doter le jugement étranger de la force exécutoire.
Concrètement, un ressortissant anglais qui a obtenu au Royaume-Uni un jugement de condamnation d’un ressortissant français ne pourra donc faire exécuter la décision en France qu’après avoir obtenu l’exequatur. Il s’agit d’une procédure qui peut parfois s’avérer longue.
Le droit international privé français confie la compétence de cette procédure au Tribunal de Grande Instance, qui vient de devenir le Tribunal Judiciaire.
Au terme d’une jurisprudence bien établie, le juge français, bien qu’il n’entre pas dans le fond et l’opportunité de la décision, doit vérifier plusieurs points de conformité :
- La compétence indirecte du juge étranger qui a rendu la décision. Ce point est validé dès lors que la compétence dudit juge ne contrevient pas à une compétence exclusive. Ainsi, par exemple, le juge français ne pourra pas prononcer l’exequatur d’une décision anglaise qui statuerait sur la vente d’un immeuble situé en Espagne (cette compétence appartenant exclusivement au juge espagnol.
- La conformité à l’ordre public international français, qui est principalement développé s’agissant des personnes (par exemple : interdiction de la répudiation) mais beaucoup moins s’agissant des affaires.
- L’absence de fraude à la loi défini comme le changement volontaire d’une situation juridique dans le seul but de se soustraire à l’application d’une loi.
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En définitive, le Brexit aura un impact certain sur la circulation des décisions judiciaires entre le Royaume-Uni et l’espace européen.
Les opérateurs économiques et les individus devront donc s’attendre à devoir passer par des formalités supplémentaires pour faire valoir les décisions obtenues au Royaume-Uni.
Il faudra donc revoir les stratégies procédurales et anticiper la nécessité de recourir à une procédure d’exequatur.
Dans certains cas, il sera même plus judicieux de recourir directement au juge français plutôt qu’aux juridictions anglaises afin de gagner du temps et de s’assurer de l’efficacité de la décision qui sera rendue.
BRÈVE
La procédure civile française réformée !
Le 11 décembre 2019, le gouvernement a publié un décret n°2019-1333 venant refondre certains aspects importants de la procédure civile française. Ce texte est pris en application d’une loi d’habilitation du parlement du 23 mars 2019.
Concrètement, le décret vient entre autres fusionner les Tribunaux d’instance et les Tribunaux de Grande Instance qui deviennent le Tribunal Judiciaire.
Autre point essentiel, il prévoit que, par principe, l’exécution provisoire est automatique, sauf exception prévues par la loi. Dans la majorité des cas donc, la partie condamnée devra s’exécuter avant de pouvoir faire appel de la première décision.
La représentation obligatoire par avocat ou encore la nécessité de « prendre date » (pour une audience) au moment de l’assignation sont également étendues. Ainsi, la représentation par avocat deviendra obligatoire devant le Tribunal de commerce à compter du 1er septembre 2020.
La procédure de divorce est aussi profondément modifiée. Enfin, seuls deux modes de saisines des tribunaux persistent à savoir l’assignation et la requête. La présentation volontaire des parties et la déclaration au Greffe disparaissent donc sauf cas très particuliers.
Une attention toute particulière doit donc être portée aux procédures qui seront initiées en ce début d’année !