27 rue du Pont Neuf 75001 Paris
+33(0)1 40 20 91 26
info@ncazeau.com

Newsletter du cabinet Cazeau & Associés – Juin 2020

Newsletter
Juin 2020

Après plusieurs semaines difficiles, ce mois de juin est marqué par le déconfinement et la reprise progressive des activités. Aussi, dans cette newsletter, le cabinet a souhaité vous partager les travaux et réflexions sur l’après Coivd-19 qu’il a menés durant la période de confinement.

 

SOMMAIRE

  • Article: La relocalisation pharmaceutique en Europe, quels enjeux juridiques ? (par Nathalie CAZEAU)
  • En Bref : Travaux et participations du cabinet pendant la période de confinement

 

ARTICLE

La relocalisation pharmaceutique en Europe, quels enjeux juridiques ?
(par Nathalie CAZEAU)

L’épidémie de Coronavirus nous a fait prendre conscience de la menace qui pèse sur la santé publique en France et en Europe dans la mesure où 80 % des principes actifs pharmaceutiques utilisés en Europe sont fabriqués hors de l’espace économique Européen, dont une grande partie en Asie.

L’Académie Nationale de Pharmacie a souligné la gravité de cette situation.

« Du fait de la multiplicité des maillons de la chaîne de production, il suffit d’une catastrophe naturelle ou sanitaire, d’un événement géopolitique, d’un accident industriel, pour entraîner des ruptures d’approvisionnement pouvant conduire à priver les patients de leurs traitements », analyse encore l’Académie.

Cela fait déjà plusieurs années que de telles alertes ont été lancées, mettant en exergue le fait que la maîtrise de la fabrication des matières premières à usage pharmaceutique était devenue un enjeu stratégique national et européen.

Beaucoup réfléchissent donc aujourd’hui à la manière dont on pourrait créer les conditions d’une relocalisation en Europe des principes actifs, et de certains excipients indispensables à la formulation pharmaceutique, afin de préserver une indépendance au niveau européen notamment pour certains médicaments tels que les antibiotiques ou les anticancéreux.

« Il est vital de garantir l’indépendance de notre politique de santé tout en favorisant le maintien des capacités de production existant en France et en Europe afin de mieux garantir la disponibilité des médicaments pour les patients » conclut l’Académie nationale de pharmacie.

Un comité exécutif vient d’être créé au sein de l’Union européenne, regroupant l’EMA, la Commission européenne et les autorités compétentes de chaque pays membre, consacré aux pénuries de médicaments causées par des événements majeurs.

Dans le cadre du Covid-19, ce comité exécutif va identifier et coordonner les actions européennes mises en place pour protéger les patients en cas de risque de pénurie, provoquée par exemple par les mises à l’arrêt temporaires des usines dans les zones touchées par l’épidémie, ou par des restrictions de transport ayant un impact sur les livraisons.

Le parlement Européen rendra un rapport sur les solutions à apporter face aux pénuries de médicaments. C’est la députée européenne, Nathalie Colin- Oesterlé qui a été chargée d’en être le rapporteur. Elle a remis ses conclusions et propositions le 29 avril dernier.

Dans son rapport, elle évoque « la création d’un ou de plusieurs établissements pharmaceutiques européens à but non lucratif, capables de produire certains médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique »

Dans son rapport sur l’indisponibilité des Médicaments, publié le 20 Juin 2018 l’Académie Nationale de Pharmacie faisait état de la nécessité de considérer l’industrie pharmaceutique comme une industrie stratégique :

« Devant ces constats, il est nécessaire que les Pouvoirs publics réagissent et considèrent que l’industrie du médicament est un atout stratégique, source de revenus et d’emplois, mais aussi qu’elle est essentielle pour assurer à terme l’indépendance de l’Europe en matière de médicaments essentiels.

 Il est indispensable d’établir un recensement précis des sites industriels européens capables de fabriquer des formes injectables de médicaments et plus particulièrement des sites capables de préparer des formulations contenant des substances hautement sensibilisantes ou à haute activité pharmacologique ou toxique, dont les médicaments anticancéreux et anti-infectieux, et de surveiller cette branche industrielle, pour être capable de réagir en cas de constat de lente érosion des capacités de production. »

La relocalisation et plus généralement de fait de sécuriser la production de médicaments en Europe pose de très nombreuses questions. Nous n’abordons ici que certains des aspects juridiques des enjeux de cette relocalisation.

Les questions juridiques – loin d’être les seules, évidemment- sont cependant très importantes, de manière à contribuer à la réflexion d’une stratégie de relocalisation qui permette aux acteurs économiques de sécuriser leur production.

La relocalisation doit être envisagée au moins à l’échelle de l’Union Européenne.

Il semble en effet assez clair que vouloir fabriquer en France toute la pharmacopée n’est pas imaginable.

Si la relocalisation s’envisage au niveau Européen, cela implique donc au niveau juridique, de travailler à une plus grande harmonisation du statut du médicament en Europe, tant au plan réglementaire que contractuel.

La réflexion sur les aspects juridiques de la relocalisation peut s’envisager sur deux axes, celui de la nécessaire harmonisation réglementaire en Europe, pour favoriser la relocalisation, et celui de la convergence vers un modèle de contrat unique, au niveau Européen.

 

I. Harmoniser et coordonner les normes :

Les contraintes réglementaires participent aux ruptures et tensions d’approvisionnement.

Un cadre réglementaire excessif ne permet pas de répondre aux exigences de flexibilité .

Les sites pharmaceutiques industriels gèrent au quotidien des multiples plans de changements ayant des origines diverses..

De plus en plus souvent, il s’agit aussi de faire face à des changements, soit imprévus, soit dont le titulaire d’AMM et le site fabricant ne sont informés que peu de temps avant leur mise en œuvre. Il peut s’agir par exemple d’un fournisseur d’excipients, de flacons, de bouchons, de seringues, etc., qui arrête sa production ou la transfère sur un nouveau site ou encore modifie les spécifications de ses produits.

Par ailleurs, le nombre de normes est en constante augmentation ainsi que le nombre de mises à jour. Au total, chaque usine gère plusieurs centaines de changements par an.

Pour tout changement, la réglementation oblige à respecter des étapes précises : les bonnes pratiques de fabrication demandent d’une part, au titulaire d’obtenir une autorisation de modification de son dossier d’AMM (variation) et d’autre part, à l’industriel fabricant l’ouverture d’un plan de changement qui s’inscrit dans un système de maîtrise des modifications (« change control ») formalisé.

Cependant, les industriels ne sont pas maîtres des délais de mise en œuvre de ces modifications car la grande majorité d’entre-elles doivent, avant de pouvoir être mises en place, être approuvées par les autorités de santé qui ont octroyé l’AMM (procédure de variation) et, ceci, dans chacun des pays dans lesquels le médicament concerné est enregistré.

Pour les médicaments enregistrés en procédure centralisée, pour l’Union Européenne, le processus d’approbation est géré au niveau de l’EMA, mais le problème reste entier car, dans leur cas, les modifications de procédés concernent tout autant les pays hors-Europe (USA, Canada, Brésil, Chine, Mexique, Japon, Corée, Russie, Pays du Golfe, etc.).

On comprend dès lors comment les contraintes réglementaires participent aux ruptures et tensions d’approvisionnement.

S’ajoute à cela, la multiplicité d’autres normes type HSE ( Hygiène, Sécurité, Environnement) différentes dans chaque pays, qui sont aussi source de contraintes.

La Conférence internationale sur l’harmonisation des critères d’homologation des produits pharmaceutiques à l’usage de l’homme (ICH) a été créée en 1990 par les autorités de réglementation pharmaceutique et les laboratoires pharmaceutiques de l’Union européenne, du Japon et des États-Unis dans le but de définir et d’harmoniser certaines des normes à appliquer pour la mise au point des nouveaux médicaments.

Les autorités des pays adhérents à ICH54 ont conscience de la problématique du fait que ces délais peuvent être un frein à l’amélioration continue et à l’approvisionnement en médicaments. Elles ont initié une réflexion55 (enquête publique initiée par l’EMA pour l’Union en décembre 2017 et jusqu’en décembre 2018) qui a abouti à la diffusion pour enquête publique d’une guideline ICH Q1256

La crise actuelle, et le risque de pénurie va probablement engendrer une réflexion plus intense encore sur cette nécessaire harmonisation, au niveau réglementaire qui doit passer par une coordination des normes et des structures.

Cette nécessaire coordination des normes et des structures est aussi suggérée par l’Académie Nationale de Pharmacie dans son rapport précité :

“L’insuffisante coordination entre les différentes structures, agences et ministères concernés par le médicament est sans doute le constat le plus important que l’Académie nationale de Pharmacie a pu faire au cours de ses différentes auditions. De ce point de vue, la France devrait s’inspirer du plan stratégique global initié par la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis.”

On le voit, le progrès doit aller vers une tendance à l’harmonisation, mais aussi vers un principe de flexibilité réglementaire pour faire face à certaines situations critiques.

Harmoniser, rendre plus souple et plus flexible, mais aussi , renforcer les contrôles à l’international, pour protéger les laboratoires contre une concurrence déloyale des pays à bas coûts.

Il conviendrait aussi de renforcer l‘expertise de l’ANSM en vue d’une meilleure harmonisation des pratiques au niveau mondial et lui permettre d’intensifier ses activités à l’international dans le domaine de l’inspection.

Les retombées attendues seraient bénéfiques aussi bien en termes de compétitivité des producteurs pour tiers en France (lutte contre la concurrence « déloyale ») que de santé publique (meilleur contrôle des médicaments importés).

Dans le même ordre idées, il faudrait favoriser une application stricte des BPF, notamment dans les pays tiers à l’Union européenne concernés ; limiter la concurrence « déloyale » subie à ce niveau par les producteurs pour tiers en France

 

II. Envisager une harmonisation Européenne des conditions commerciales des contrats de fabrication

Centraliser la production en Europe, signifie pour celui qui l’organise, le choix du pays où cette relocalisation sera effective .

Or il faudrait permettre une harmonisation des règles commerciales liées aux contrats de fabrication et de production des spécialités pharmaceutiques, afin de faciliter le choix du lieu de fabrication et éviter les disparités de législations entre pays Européens.

L’idée serait sur ce point, d’envisager, pour les contrats concernant la fabrication de spécialités pharmaceutiques et leur nécessaire relocalisation de travailler à l’élaboration d’une convention « sœur » de la convention de vente internationale de marchandises dite Convention de Vienne, spécialement adaptée aux exigences du droit pharmaceutique.

La Convention de Vienne (CVIM) du 11 avril 1980, régit à la fois « la formation du contrat de vente et les droits et obligations qu’un tel contrat fait naître entre le vendeur et l’acheteur » (art. 4). En France, elle se substitue aux articles 1582 et suivants du Code civil lorsqu’il s’agit de ventes internationales de marchandises.

la CVIM est en vigueur à ce jour, dans les quatre‐vingt pays qui l’ont ratifiée (dont la France, le 1er janvier 1988, après un décret no 87‐1034 du 22 déc. 1987).

La liste des pays pour lesquels la Convention est entrée en vigueur est significative de son succès. M. Witz fait à juste titre remarquer qu’au jour des vingt‐cinq ans de la Convention, celle‐ci régit les deux tiers du commerce international (Les vingt‐cinq ans de la Convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, Bilan et perspectives, Claude Witz, JDI 2006, p. 5 ; ce pourcentage reflète la part prise par les États contractants dans le commerce international).

Ces pays sont aussi bien des pays de droit continental que des pays de Common law comme les États‐Unis, le Canada ou l’Australie.

La CVIM est ainsi devenue le droit de la vente pour l’Union européenne.

A quand une CVIM Pharmaceutique pour l’Union Européenne ?

Dès lors, pourquoi ne pas imaginer une « CVIM Pharmaceutique » qui pourrait permettre d’aboutir à cette relocalisation harmonisée en Europe, de la fabrication des spécialités pharmaceutiques ?

Rappelons que la Convention est un texte de droit uniforme supplétif et non impératif (article 6) et relevons également qu’elle a influencé plusieurs réformes nationales du droit de la vente, notamment en Finlande, Suède et Norvège.

Dès lors, les principaux protagonistes, dans la négociation de leurs contrats, pourraient aussi décider de s’en affranchir, mais prenons le pari que si une telle convention existait, qui soit spécifiquement adaptée aux exigences du droit pharmaceutique, elle serait choisie par les parties .

On pourrait donc parfaitement imaginer de créer une convention du même type, adaptée aux impératifs du droit pharmaceutique et laissant aux parties une souplesse de négociation et de choix des dispositions applicables à l’instar de la convention de Vienne.

De la sorte, la convention pourrait proposer un ensemble de dispositions matérielles indépendantes de toute législation nationale, qui ne s’appliquerait qu’à défaut de dispositions contraires.

Un grand gain de temps, en négociation, en coûts, et en stratégie d’implantation pourrait ainsi être obtenu.

 

En Bref

Travaux et participations du cabinet pendant la période de confinement

  • 🇫🇷 Intervention de Nathalie CAZEAU le jeudi 14 mai 2020 au « Webinar UIA : les enjeux juridiques du droit de la santé pendant la crise Covid-19» => Regarder

 

  • 🇫🇷 Organisation et participation de Nathalie CAZEAU, Christel BRANJONNEAU et Christopher JACQUET-CORTÈS au webinar « Le déconfinement et après ? Les enjeux juridiques de la reprise d’activité» => Regarder

 

  • 🇬🇧 Intervention de Nathalie CAZEAU au Webinar international du Barreau de Barcelone (aspects juridiques du Covid-19) => Regarder

 

  • 🇪🇸 Collaborations avec Francia Hoy :

– Vidéo – Qu’est-ce que l’activité partielle et comment s’applique-t-elle ? (Par Christopher JACQUET-CORTÈS) => Regarder

– Article – Comment l’Etat aide les entreprises et les indépendants ?  => Lire

– Article – Covid-19: Puis-je suspendre le paiement de mon loyer professionnel ? => Lire