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Newsletter du cabinet Cazeau & Associés – Janvier- Février 2023

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 Janvier- Février 2023

 

Article : Négocier des clauses limitatives de responsabilité dans les contrats commerciaux

Brève : Forfait en jours : Le suivi de la charge du travail : un obstacle difficile à surmonter pour la sécurisation du forfait en jours annuel

Article

Négocier des clauses limitatives de responsabilité dans les contrats commerciaux

La notion de clause limitative de responsabilité recouvre plusieurs variétés de clauses ayant toutes pour objet de limiter, voire d’écarter, les effets de la responsabilité d’un contractant. Ces clauses ont un régime similaire.

Lors de la négociation d’un contrat commercial, il est recommandé d’apporter une attention particulière à ses clauses qui se révèlent être un outil protecteur efficace pour l’une des parties en cas de litige relatif à l’exécution du contrat.

Quels types de clauses limitatives de responsabilités peuvent être insérées dans un contrat commercial ?

Dans une compréhension large de la notion de clauses limitatives de responsabilité, on peut distinguer les clauses suivantes :

  • celles qui limitent ou excluent la responsabilité, soit en énumérant les cas dans lesquels cette responsabilité sera admise ou ne pourra être retenue, soit en restreignant l’exercice de l’action en responsabilité, notamment par la prévision d’un délai réduit pour agir.
  • celles ne visant en réalité que la réparation de cette responsabilité. Le quantum de cette réparation sera préalablement déterminé soit par un plafond de dommages-intérêts, soit d’une prestation en nature à exécuter par le responsable au bénéfice de la victime de l’inexécution.

Les parties qui négocient un contrat commercial ont donc à leur disposition une variété de clauses pour se protéger en cas de litige et qui peuvent se moduler en fonction de la négociation allant de la clause limitative ou d’atténuation de responsabilité à une clause exclusive ou d’exonération de responsabilité, de clause d’irresponsabilité ou encore de clause limitative de réparation ou de dommages-intérêts.

A quelles conditions ses clauses limitatives de responsabilité sont-elles valides ?

La validité de ces clauses limitatives de responsabilité est consacrée par l’article 1231-3 du Code civil selon lequel le débiteur n’est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat.

Cependant, la jurisprudence a dégagé un certain nombre d’exception à ce principe :

  • Les clauses d’exonération ou d’atténuation de la responsabilité délictuelle sont nulles, les articles 1240 et 1241 étant d’ordre public (Cass. 1re, 5 juill. 2017, nº 16-13.407).
  • Si la clause limitative de responsabilité créée un déséquilibre significatif, cette clause tomberait sous le coup de l’article L. 442-1, I, 2º, du Code du commerce ou, plus généralement depuis la réforme du droit des obligations de 2016, sous le coup de l’article 1171 du Code civil qui répute non écrite une clause non négociable introduisant un déséquilibre significatif dans le contrat d’adhésion.
  • Une clause limitative de responsabilité peut également s’analyser sous le prisme de l’article 1170 du Code civil qui répute non écrite « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur ».

Ainsi au cours de la négociation, il faut prendre en compte l’existence d’une contrepartie à la clause limitative de responsabilité qui résulte des autres stipulations contractuelles, et, pour les clauses limitatives de réparation, il faut prévoir un montant qui ne soit pas dérisoire.

Comment mettre en œuvre une clause de responsabilité ?

Pour être efficaces, ces clauses doivent être claires et lisibles pour celui qu’elles contraignent. À défaut, elles sont inopposables (Cass. com., 27 févr. 1996, nº 93-21.845) .

Ensuite, la Cour de cassation a considéré que la disparition du contrat n’entraine pas l’anéantissement de la clause limitative de responsabilité : « en cas de résolution d’un contrat pour inexécution, les clauses limitatives de réparation des conséquences de cette inexécution demeurent applicables » (Cass. com., 7 févr. 2018, nº 16-20.352).

Néanmoins, si le contrat est résolu en raison d’un dol ou de faute lourde du débiteur responsable, la clause limitative sera inefficace (article 1231-3 du Code civil).

En conclusion, malgré les circonstances qui pourront conduire à écarter la clause limitative de responsabilité, celle-ci conserve toute sa valeur et son utilité, particulièrement dans les contrats commerciaux où l’aménagement au préalable des cas de responsabilité contractuelle offre un levier de négociation au moment de la conclusion du contrat et apporte de la sécurité à la relation d’affaire.

Brève : Forfait en jours : Le suivi de la charge du travail : un obstacle difficile à surmonter pour la sécurisation du forfait en jours annuel

Il est bien connu désormais que la validité d’une convention de forfait en jours annuel est subordonnée au respect du droit des salariés à la santé et au repos. Le Code du travail pose comme principe d’ordre public que l’employeur s’assure régulièrement du caractère raisonnable de la charge de travail du salarié et d’une bonne répartition de ce travail dans le temps. Les modalités de mise en œuvre de cette obligation sont fixées par l’accord collectif autorisant et organisant le recours aux forfaits en jours, ou à défaut, par les dispositions supplétives prévues par le code du travail (art. L. 3121-64 et L. 3121-65 Code du travail).

Nonobstant ce principe très clair, la notion de suivi de la charge de travail et les modalités dudit suivi demeurent complexes.

La Cour de cassation a constaté à plusieurs reprises le caractère insuffisant des modalités de suivi et contrôle de la charge de travail prévues par les conventions collectives et par les accords d’entreprise. Notamment, dans l’arrêt Crédit Agricole (Cass. soc., 14 mai 2014, no 12-35.033) la Haute juridiction a sanctionné l’insuffisance de l’accord car n’instituant pas de « suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable de travail ». C’est donc le principe d’un suivi effectif et régulier de la charge de travail qui est posé par la Cour de cassation dans plusieurs décisions (Cass. soc., 13 oct. 2021, no 19-20.561; Cass. soc., 21 sept. 2022, no 21-15.114).

Par un arrêt du 14 décembre 2022 (no 20-20.572) la Cour de cassation a ultérieurement renforcé l’exigence de suivi effectif et régulier de la charge de travail. Elle a en effet censuré les dispositions de la Convention collective du commerce de détail non-alimentaire relative à la convention de forfait en jours et qui prévoyaient le mode de contrôle suivant :

  • Le décompte des journées travaillées ou des jours de repos pris est établi mensuellement par l’intéressé.
  • Les cadres concernés remettent, une fois par mois à leur employeur qui le valide, un document récapitulant le nombre de jours travaillés, le nombre de jours ou de demi-jours de repos pris et ceux restant à prendre.
  • À cette occasion doit s’opérer le suivi de l’organisation du travail, le contrôle de l’application du présent accord et de l’impact de la charge de travail sur leur activité de la journée.
  • Le contrôle des jours est effectué soit au moyen d’un système automatisé, soit d’un document auto-déclaratif.

Ces mesures sont jugées insuffisantes par la Cour de Cassation. La motivation est que l’accord collectif « sans instituer de suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n’est pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, ce dont il se déduisait que la convention de forfait en jours était nulle, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Cet arrêt vient une fois de plus fragiliser les accords instituant les forfaits en jours annuel, qui risquent d’être censurés sur le fondement de l’insuffisance du suivi de la charge de travail ou de son prétendu caractère non effectif. Qui plus est, la Cour de Cassation n’apporte peu ou pas d’indication concernant ce qui serait un système de suivi de la charge de travail effectif et régulier, si bien que la négociation des accords devient un exercice particulièrement complexe. A lecture de l’arrêt, on pourrait penser que l’attention de la Cour était focalisée sur le caractère à postériori du contrôle, ce qui ne rend pas possible un suivi au jour le jour de la charge de travail et, le cas échéant, une intervention immédiate en cas de violation du droit au repos et à la santé des salariés.

A noter qu’en l’espèce la Cour de Cassation écarte les effets de la loi du 8 août 2016, qui permet à la convention individuelle conclue en application d’un accord imparfait, seulement privée d’effet de pouvoir être « réactivée » en cas de régularisation ultérieure de l’accord collectif, ou par la mise en œuvre du dispositif « béquille » de l’article L. 3121-65 du Code du travail. Ceci a pour effet d’imposer la conclusion d’un nouvel accord collectif afin de pallier l’insuffisance des dispositions en matière de suivi de la charge de travail.

Cet arrêt risque d’alimenter encore plus le contentieux autour des forfaits en jours annuel et générer un risque considérable pour les entreprises dans la gestion des relations de travail.

Dans la pratique, la contestation de la validité des conventions de forfait en jours annuel est souvent utilisée comme levier par les salariés dans les négociations de sortie ou en cas de contentieux. Un accord de forfait en jours annuel bien bâti et sécurisé est donc un atout pour l’entreprise pour la gestion de la durée du temps et du contrat, mais aussi pour la gestion du risque juridique.