27 rue du Pont Neuf 75001 Paris
+33(0)1 40 20 91 26
info@ncazeau.com

Newsletter du cabinet Cazeau & Associés – Septembre-Octobre 2022

Newsletter
 Septembre – Octobre 2022

SOMMAIRE :

Article

 

De l’importance de la qualification du contrat pour invoquer l’application de la garantie des vices cachés (art. 1641 Code civil)

La Cour de cassation a récemment rappelé que la garantie de vices cachés prévue à l’article 1641 du Code civil s’applique exclusivement aux contrats de vente et non aux contrats d’entreprise.

Donner la qualification au contrat est donc essentiel. Pourtant, cela n’est souvent pas si simple, notamment quand il s’agit de contrats complexes qui portent à la fois sur une activité/prestation et sur la fourniture du matériel/des équipements nécessaires. Un autre élément de complexité peut venir de la présence d’une chaîne de contrats successifs, pour lesquels chacun doit trouver la bonne qualification entre contrat d’entreprise ou contrat de vente.

Un critère de distinction entre le contrat d’entreprise et le contrat de vente a été identifié par la jurisprudence, à savoir la standardisation ou la personnalisation du produit ou du service. Ainsi, lorsque le contrat porte sur des choses dont les caractéristiques sont déterminées d’avance par le fabricant (produit dit « standard »), il s’agit d’un contrat de vente. Si, en revanche, il s’agit d’un travail spécifique pour les besoins particuliers exprimés par le maître de l’ouvrage, le contrat est d’entreprise.

Dans un arrêt rendu le 29 juin 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle un principe important : l’action en garantie des vices cachés n’est pas ouverte au maître de l’ouvrage contre l’entrepreneur (Cass. com. 29 juin 2022 n° 19-20.647).

En l’espèce, la société ENGIE avait confié la construction d’une centrale de production d’électricité à la société SMAC. Cette dernière avait acheté des panneaux photovoltaïques à la société TENESOL afin de les installer sur la centrale. A son tour, TENESOL avait acheté les pièces nécessaires pour l’assemblage des panneaux photovoltaïques auprès d’une société tierce.

Ayant constaté des défaillances dans la centrale de production d’électricité qui résultaient d’un problème au niveau des panneaux photovoltaïques, ENGIE a assigné en réparation de ses préjudices la société SMAC. ENGIE fondait sa demande sur la garantie des vices cachés. Pour sa part SMAC soutenait que la garantie des vices cachés n’était due que par le vendeur et était donc inapplicable au contrat de louage d’ouvrage conclu avec ENGIE, quand bien même SMAC avait fourni les panneaux photovoltaïques.

La Cour d’appel de Versailles a jugé que la garantie des vices cachés était due par la société SMAC à ENGIE : « en sa qualité de fournisseur final des connecteurs, la société SMAC est bien redevable à l’encontre de la société ENGIE de la garantie des vices cachés, peu important le fait que le contrat qui les lie soit un contrat de louage d’ouvrage. »

La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles au motif que « l’action en garantie des vices cachés n’est pas ouverte au maître de l’ouvrage contre l’entrepreneur ».

La Cour de Cassation a qualifié le contrat conclu entre ENGIE et SMAC de contrat d’entreprise et non de vente, de sorte que la garantie de vices cachés prévue par l’article 1641 du Code civil n’était pas applicable.

  • Rappel sur le régime de garantie des vices cachés

La garantie de vices cachés est régie par les dispositions de l’article 1641 et suivants du Code civil qui dispose :

« Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus. »

La mise en œuvre de la garantie des vices cachés suppose :

  • Un vice non apparent et préexistant au moment de la vente qui rend la chose impropre à son usage ;
  • L’introduction de l’action, par l’acheteur, dans un délai de deux ans à compter de l’apparition du vice.

La garantie des vices cachés permet à l’acheteur de demander la résolution de la vente ou la réduction du prix.

Dans une chaine de contrats translatif de propriété (ex. contrat de vente), la garantie contre les vices cachés est transmise avec la chose aux propriétaires successifs, de telle de sorte que le dernier acquéreur peut s’adresser au vendeur originaire, comme à son propre fournisseur.

  • Quel régime pour les contrats d’entreprise ?

La garantie de vices cachés ne s’applique pas aux contrats d’entreprises.

Dans les contrats d’entreprise, l’entrepreneur est tenu à l’obligation de réaliser la prestation conformément aux conditions convenues dans le contrat et exempte de tout défaut. En cas de non-réalisation de cette obligation, la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur peut être recherchée sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil.

Dans un contrat de fabrication d’une chose matérielle par exemple, l’entrepreneur qui ne respecte pas l’obligation de réaliser la chose exempte de tout défaut et conforme au contrat engage sa responsabilité. Il s’agit alors d’une responsabilité sans faute. L’entrepreneur peut s’exonérer de sa responsabilité s’il apporte la preuve d’une cause étrangère.

C’est sur ce point que réside la différence fondamentale avec l’action en garantie de vices cachés : le vendeur doit la garantie en présence d’un vice caché peu importe qu’il résulte d’une cause étrangère tandis que l’entrepreneur peut s’exonérer de sa responsabilité pour vice en présence d’une cause étrangère.

  • Évolutions prévisibles du champ d’application de la garantie de vices cachés

La réforme du Code civil qui a donné lieu à l’adoption de l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations se poursuit avec la publication en juillet 2022, par le Ministère de la Justice, de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux.

Les rédacteurs de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux proposent une nouvelle rédaction de l’article 1641 régissant, jusqu’à présent, la garantie des vices cachés en simplifiant la définition de vice de la chose : « Le bien vendu est vicié lorsqu’il est impropre à l’usage habituellement attendu d’un bien semblable ou n’est pas conforme aux spécifications du contrat. »

De plus, cet avant-projet semble instaurer un régime de la garantie des vices de la chose unifié, qui laisse apparaitre un alignement du régime de la garantie des vices entre celui applicable aux contrats de vente et celui qui s’appliquerait aux contrats d’entreprise.

En effet, à la lecture de l’article 1789 présent dans l’avant-projet de réforme, on pourrait comprendre que le contrat d’entreprise est également soumis au régime de la garantie des vices :

« L’entrepreneur a comme le vendeur l’obligation de délivrer l’ouvrage au client. De même, il répond des vices ou défauts de conformité affectant l’ouvrage […] ».

Dès lors, on pourrait se demander si la Cour de cassation aurait adopté la même solution dans l’arrêt du 29 juin 2022.

Ce texte est soumis à consultation publique jusqu’au 18 novembre 2022 et la rédaction des articles peut encore évoluer.

Alexia Duran Froix